Notre-Dame pleure…
La France a mal à son histoire.
Émotion, consternation et douleur unanimes... Le peuple de France a salué la grandeur de cette noble Dame et pleuré son malheur comme le sien propre et unique. Le peuple de France tout entier pleure, du plus petit au plus grand de ses membres. Pas une fausse note, pas une polémique politicienne. L’unanimité n’est pas feinte. Elle est l’expression du cœur de tout un peuple. Chacun retient son souffle et espère que l’irréparable n’ait pas lieu. Dès la probabilité la plus certaine que Notre-Dame pourra être sauvée, le premier des Français parle à la nation de renouer avec son « destin ».
« Les mots sont les bergers de l’être » dit le philosophe. Les mots ici, pour les uns et les autres, ne portent sans doute pas le même sens, mais nul français ne dit aujourd’hui que ce qui concerne la vieille Dame de Paris ne le concerne pas. Des siècles d’art, d’histoire et de littérature ont façonné le vêtement de Notre Dame. Marie en sa cathédrale, dressée par la foi des chrétiens catholiques, est habillée de tous les vêtements de l’histoire de France dans ses heures de gloire comme dans ses heures tragiques. Croyants et incroyants reconnaissent en la noble Dame pluriséculaire un des symboles les plus forts de la nation.
Étrange situation que la nôtre ici, car au peuple des rois très chrétiens qui ont bâti la cathédrale a succédé à ce jour une république laïque qui, au-delà des discours, relaie la foi, qu’elle soit chrétienne, juive ou musulmane, dans la sphère du privé. Toute invitation dans l’espace public d’une quelconque manifestation de foi, pour ne pas dire de simple culture chrétienne ou d’expression religieuse, est souvent stigmatisée, si ce n’est combattue avec violence. L’histoire des crèches de Noël en lieu public en fait foi. Il aura suffi que Notre Dame de Paris brûle pour que la nation française dans toutes ses composantes et ses courants de pensée caractérise l’événement d’historique, de tragique et de douloureux. Toute activité politique cesse, à commencer par celle prévue par le chef de l’état, devant répondre à un profond malaise du peuple. Le ciel semble s’en mêler pour ne faire qu’aggraver la situation, à moins que ce soit pour nous montrer une voie plus profonde de sortie de la crise qui n’exclut pas les autres. Tous se précipitent au chevet de celle qui subitement pourrait être défunte en peu de temps. Tous s’interrogent sur sa résurrection voulue, désirée, attendue avec une ténacité qui touche à l’existence même : à travers Notre-Dame, être français.
Toutes ces choses dites à demi-mots ne peuvent nous cacher que nous vivons là peut-être un incroyable retournement de situation. Au pays de la religion en privé, voici soudainement que la religion crève tous les écrans et s’invite au grand public et, en public, pour dire le public que nous sommes parce que français. Notre-Dame en sa blessure effrayante réintroduit subitement sa majesté religieuse, bâtie par la foi de nos ancêtres, au sein de son bon peuple de France. Elle semble vouloir rappeler à sa fille de France ses racines et son histoire que certains voudraient nous faire débuter à la Révolution de 1789, caractérisant cette dernière « d’événement métahistorique » et de point de départ absolu de ce que, Français, nous sommes aujourd’hui, en feignant d’ignorer ce qui a précédé la prise de la Bastille.
Ne serait-ce pas oublier le point zéro du parvis de la Cathédrale de Paris d’où partent toutes les « routes » de France ? La réaction unanime des Français pour reconnaître en cet incendie une tragédie concernant toute la famille semble bien nous faire comprendre que la France a sa mesure à partir de ce point zéro d’où la nation est née. Ici fut bâti à la force de la foi chrétienne exprimée dans la majesté d’un ensemble architectural religieux ce qu’aucun événement historique n’a jamais pu atteindre en force symbolique. Du point zéro posé en un lieu des plus emblématiques de la nation autant que de la foi chrétienne, point gravé dans la pierre, chaque Français trouve quelque peu sa mesure. Quel que soit son éloignement idéologique de cette foi bâtisseuse en flèches de pierres brutes, il est difficile, voire impossible, d’être français sans se mesurer à la référence religieuse inscrite en majuscule au cœur de l’Île de la Cité.
Dieu mène l’histoire des peuples et des nations, telle est notre foi chrétienne. Au-delà des causes secondes, ou si vous préférez, au-delà des circonstances historiques, Dieu nous parle au cœur de chaque événement. Mes enfants, nous dit Marie, voici les larmes de mon cœur pour la France et chacun de ses enfants. L’oubli de votre histoire et de l’âme de votre beau pays, brise mon cœur d’un feu dévorant et destructeur, celui-là même qui aurait pu emporter mon Fils Jésus, mort pour vous, dont vous détenez la sainte couronne. Faut-il encore que je m’évertue à vous montrer le ciel de cette flèche aussi fine qu’élégante entourée des douze apôtres de mon Fils Jésus ? Vous n’écoutez pas ce que vous dit votre histoire. Vous ne savez plus décrypter le présent à partir des racines vivantes de votre glorieuse histoire de civilisation devenue chrétienne et sculptée dans chaque pierre de mon vêtement cathédral. Puisque le ciel n’est plus rien pour vous, puisqu’il n’est plus signe de la majesté amoureuse de mon Fils, le créateur des mondes, je voudrais vous montrer le chemin pour le retrouver. Mon doigt maternel en crevant la voûte de ma cathédrale vient donc désormais vous montrer mon cœur pour vous : la croix de mon Fils, intacte, lumineuse, glorieuse. Au courage de vos pompiers, mes enfants, venus me défendre et sauvegarder les trésors de mon cœur je veux répondre. Comme je veux aussi remercier la foi de leur aumônier venu « sauver » le Saint Sacrement, mon Fils, bénir sa demeure tout en emportant sa sainte couronne d’épines. Je vous ai laissé les deux mains du Père, de votre Père des cieux. Tours majestueuses qui vous accueillent depuis tant de siècles. Elles sont, selon l’expression de saint Irénée de Lyon, les deux mains du Père, le Fils et l’Esprit Saint, pour vous conduire à son cœur d’amour et de miséricorde. Le Père de toute consolation ne peut vous abandonner à votre apostasie de masse qui vous touche autant que l’Europe. Celle-ci ne voudrait même plus reconnaître que les douze étoiles de son drapeau sont le signe principal de la victoire de mon Fils sur toutes les forces du mal dont je suis la première réalité vivante.
« France, fille aînée de l’Église, qu’as-tu fait de ton baptême ? » vous a demandé mon fils très cher Saint Jean-Paul II. France, « éducatrice des peuples », selon une autre de ces interpellations, n’entends-tu pas à travers les pleurs du monde entier sur ma cathédrale en feu, le regard de foi du monde sur ta vocation dont je détiens une grande part de son génie dans les plis de mon vêtement de pierre et de lumière, sur l’île de la cité, cœur de ton cœur, capitale d’un noble pays que j’ai si souvent visité. Si j’étais apparue comme à Lourdes où déjà je vous avertissais d’aller à la source boire et vous y laver, plutôt que de mettre votre foi seulement en votre science et votre progrès, vous ne m’auriez pas cru. D’élan aussi unanime il n’y aurait pas eu. Personne ne m’aurait suivi hormis quelques milliers d’entre vous à la foi chevillée au cœur. Ce signe d’ailleurs saurez-vous le comprendre ?
En ces jours de la Passion, semaine sainte pour tout chrétien du monde, vous avez vu, hébétés et consternés, mes larmes de feu autant que la tristesse de mon cœur à travers les restes noircis de ma cathédrale. Vous avez mêlé vos propres larmes à mon malheur comme s’il était vôtre. Nos larmes mêlées me donnent de vous retrouver, enfants si chers à mon cœur. Aussi je vous supplie de renouer avec votre histoire. Car votre malheur c’est le mien. Je ne pleure pas à cause de vous, mais pour vous. Je vous aime d’un amour de prédilection. Je suis Notre-Dame de France. Sachez demander pardon pour les ratés de votre histoire, que ce soit au temps des rois, de la révolution, de l’empire ou des républiques. Renouez avec votre âme forgée au labeur de tant de grands témoins de l’homme et de la foi, de femmes courageuses et vaillantes comme Jeanne d’Arc et Thérèse de l’Enfant Jésus, mes deux acolytes du ciel pour vous patronner.
Votre destin et le mien ne font qu’un. Les dons de Dieu sont sans repentance. Fille aînée de l’Église choisie par mon Fils, éducatrice des peuples, n’oublie pas d’où tu es née et quel est ton Seigneur. Renoue avec ton histoire si riche de génie dont mon vêtement de pierre et de vitrail est le témoin décrit par tous vos bons écrivains de François Villon à Paul Claudel sans oublier Victor Hugo et Charles Péguy.
En restaurant ma cathédrale, mon vêtement de lumière par la maîtrise de tous vos bâtisseurs, artisans et artistes de la lumière, peuple de France, mon enfant, restaure ton cœur en la Croix de mon Fils. Revêts-toi à nouveau de la lumière de ton baptême pour sortir de la crise si grave que tu vis au risque de te perdre.
Toi, Église qui est en France, revêts-toi plus que tout autre, à frais nouveaux, de la croix de mon Fils pour renaître à toi-même. Obéis à son appel, crié à saint François d’Assise, aux siècles qui virent naître ma cathédrale : « Va et répare mon Église qui tu le vois tombe en ruines. »
Combien de fois devrai-je vous manifester mes larmes avant que vous ne reveniez tous à votre Dieu, votre cœur, votre histoire et votre vocation ?
Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Jésus régnant qui n'a ni fin ni cesse.
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
laissa les cieux et nous vint secourir ,
Offrit à mort sa très chère jeunesse ;
Notre Seigneur tel est, tel le confesse :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
François Villon (Ballade pour prier Notre -Dame)
Frère Jean-Dominique Dubois, ofm
Jeudi saint 18 Avril 2019